Article du

8/2/2024

Actualités, témoignages
et réflexions qui nous animent...

Approche systémique

Le tourisme régénératif au service de la prospérité du territoire

Encore un nouveau mot, encore un nouveau concept... Pourquoi parler de tourisme régénératif alors qu'on a déjà fort à faire avec le tourisme responsable et durable ?

Le tourisme régénératif

POURQUOI LE TOURISME RÉGÉNÉRATIF? 

Parce que viser un tourisme durable est évidemment nécessaire, indispensable même à la poursuite de nos activités, mais peut s'avérer insuffisant pour apporter une vraie prospérité à long terme à nos territoires et à nos communautés. En effet, la notion de "durable" suppose de conserver les choses telles qu'elles sont, sans les dégrader davantage.

Mais s'il existe une loi qui régit tous nos systèmes quels qu'ils soient, c'est bien celle de l'impermanence : rien n'est stable dans l'univers, rien n'est jamais constant, tout évolue, s'améliore ou se détériore. Donc imaginer pouvoir maintenir nos systèmes en l'état sans les détériorer plus avant, est une parfaite illusion, qui suppose un regard plutôt court-termisme. 

Or lorsqu’on parle de tourisme, on y associe la notion de patrimoine, qu'il soit culturel,historique, naturel ou humain. Un patrimoine qui participe grandement voire exclusivement à l'attractivité de la destination. Celui-ci est une valeur à la portée longue, dans le temps comme dans l'espace. De là l'importance d'élargir sa vision et d'accorder au tourisme une amplitude particulière, qui va permettre d'exercer des activités et de partager ce patrimoine de façon raisonnée et équilibrée pour les nombreux siècles à venir.

Des questions fondamentales surgissent alors : comment faire pour d'une part, conserver et préserver ce patrimoine, indispensable à nos activités d’aujourd’hui, mais aussi pour le faire fructifier de façon durable, pour notre qualité de vie et nos activités futures, ainsi que celles de nos enfants ?

C'est là qu'intervient le tourisme régénératif.  

QU'EST-CE QUE LA RÉGÉNÉRATION?

La régénération est un phénomène naturel commun à tous les organismes vivants, qui leur permet de se réparer et de se reconstituer lorsqu'ils sont partiellement lésés ou endommagés. Ce phénomène est vrai pour tout être vivant, qu'il s'agisse d'un humain, d'un animal, d'un végétal ou d'un écosystème. Lorsque vous vous cassez une jambe ou lorsque vous vous coupez, l'os va se ressouder et la peau se cicatriser. Lorsque l'on détériore un écosystème et qu'on le laisse tranquille un moment, il se reconstitue progressivement. C'était le principe de la jachère qui laissait des champs libres de tout ensemencement avec un système de rotation sur plusieurs années, et ça peut aussi s'appliquer au retour des oiseaux dans l'espace urbain durant le confinement de la Covid-19.

La régénération suppose toutefois 2 conditions incontournables : d'une part, que le système ne soit que partiellement endommagé pour qu'il puisse se régénérer -à quelques exceptions près, telles les étoiles de mer capables de se reconstituer à partir d'un segment -, et d'autre part, qu'on laisse le temps à la reconstitution d'opérer. Si vous tentez de marcher sans attendre que l'os de votre jambe brisée soit réparé par exemple, il est fort probable qu'il se casse à nouveau.

Une 3ème condition serait également d'accepter que la régénération ne reconstruise pas exactement le vivant à l'identique de la version initiale. Des cicatrices et des formations différentes peuvent apparaitre, qui participeront à la création d'une nouvelle réalité. 

LA RÉGÉNÉRATION DANS L'ÉCONOMIE

Partons d'un constat simple en 3 points :

  • Nous créons selon ce que nous sommes et ce que nous connaissons. Nous ne pouvons pas créer ce que nous ignorons.
  • On ne transforme pas le monde par des processus. C'est la vision qu'on en a qui le permet, les processus se mettant au service de cette vision pour la mettre en œuvre.
  • On ne peut pas trouver de solutions avec la même pensée qui a contribué à créer les problèmes qu'elles sont censées résoudre (d'après Albert Einstein). Ce qu'on pourrait compléter par : avancer en mode "résolution de problème" ne résout généralement pas la cause de ceux-ci, et a même tendance à créer de nouveaux enjeux du fait de l'imperfection des solutions trouvées pour résoudre les problèmes initiaux (nouvelles couches de complexité!).

D'où l'idée majeure de commencer par reconfigurer notre vision du monde plutôt que d'essayer d'améliorer celle qui prévaut actuellement et qui a montré ses limites, ses déséquilibres et ses iniquités.

La notion de régénération fait apparaitre deux visions du monde fort différentes :

  • une vision mécaniste, fragmentée, rationnelle, organisée en silos, et
  • une vision du vivant, holistique, expérientielle, organisée en écosystèmes. 

La vision mécaniste consiste à agir comme si nous étions surpuissants et possesseurs du tout, dans notre façon de nous comporter et d'exercer nos activités. Tout part du désir que je dois assouvir : lorsque je veux quelque chose, je le prends, je l'utilise, puis je le jette, et je reprends une nouvelle chose désirée à laquelle je fais subir le même sort. Peu importe cette"chose", minéral, végétal, animal, ressource en eau ou bien objet de consommation. L’important est que j’en ai envie et que je m’octroie le droit de la posséder.  Ce type de comportement s’apparente à un comportement infantile, lié à la surpuissance de l'enfant. Cela implique une notion de finitude, puisqu'en utilisant ce dont j'ai envie, je le consomme et j'en détruis la valeur. Je génère des carences en utilisant des ressources épuisables de mon environnement, et des pollutions en rejetant ce que j’ai consommé. C’est le principe (simplifié) de l’économie linéaire. Et la Terre ne dispose pas de ressources infinies pour suivre ce rythme à moyen terme...

Cette vision est celle d'un monde en silos, organisé, rationnel, compartimenté, standardisé,contrôlé, prévisible et linéaire, dans lequel prévaut la loi du plus fort et celle de l'individualisme - consomme qui peut.

C'est la vision d'un monde préoccupé par la satisfaction immédiate de ses désirs futiles plutôt que celle de ses besoins essentiels - réservé aux populations les plus riches.

C'est le monde dans lequel nous vivons actuellement, qui ne peut exister que dans la croissance et l'amplification de nos consommations, un monde qui fractionne et sépare, et qui conditionne nos façons d'apprendre, de nous soigner, de nous nourrir, de travailler. C'est le monde qui consomme et détruit ses propres ressources sans ambition de lendemain. C'est le monde que nous avons appris à gérer et qui délaisse la majorité d'entre nous.

La vision du vivant est quant à elle beaucoup plus systémique et joyeuse.Elle s'inscrit dans une approche respectueuse des écosystèmes et de leurs capacités de régénération. Elle s'intéresse autant à l'ensemble qu'à chaque élément du tout, à vous, à moi, à qui nous sommes ensemble. Attention,lorsqu'on parle du vivant et d'écosystème, on ne sépare pas la gentille nature et les méchants humains ! Nous sommes et faisons partie intégrante du vivant,il est notre substrat et nous en sommes des éléments. Regardez une photo de la Terre prise depuis l'espace... C'est ça, le vivant ! Et nous en faisons résolument partie.

La vision régénérative part du principe que pour qu'un écosystème puisse prospérer, il faut que la majorité de ses éléments soit prospère, et vice-versa. Elle favorise la collaboration pour apporter des solutions collectives résilientes et inhabituelles, dans un monde en constante évolution. Elle crée l'émergence de solutions dépassant les attentes initiales et parfaitement adaptées à un monde VICA*. C'est une vision enthousiasmante et propulsante, heureuse, qui crée du lien et renforce les écosystèmes et leur évolution vers une prospérité partagée. Elle favorise l'expérimentation et l'apprentissage continuel à partir de l'observation, pratiquée avec humilité. C'est une approche fondamentalement plus adulte et mature que la précédente, qui autorise le cycle infini en intégrant des rythmes de reconstruction et de régénération dans la consommation. Elle s’appuie aussi sur une économie de type circulaire, qui réinjecte dans le cycle de production et réutilise ce dont elle a eu l’usage sans le détruire.

Elle fait lapart belle aux besoins plutôt qu'aux désirs - et dans besoins, j'inclus le gout du beau, de l'harmonie, de la paix, des loisirs et de la reconnexion à soi.Cette vision régénérative intègre la frugalité que j'appelle"heureuse", volontaire, qui n'est pas issue d'une restriction ou de manques, mais de choix conscients et librement consentis. Elle laisse la place au talent et aux compétences individuelles qui, associés ensemble, forment une diversité d'expressions pouvant répondre non seulement aux différents besoins de l'instant, mais également fournir des solutions de résilience et d'adaptation à plus long terme. 

La vision régénérative rassemble et respecte la diversité de chacun, dont chaque éclat permet de constituer le tout. Elle favorise l'épanouissement individuel au service de la prospérité de l'ensemble. 

POURQUOI PARLER DE RÉGÉNÉRATION DANS LE TOURISME?

L'idée principale est de s'interroger sur ce que peut apporter le tourisme au territoire qu’il exploite. Vous l'aurez compris des paragraphes précédents, il ne s'agit pas de n'envisager qu'un aspect environnemental à cette approche,mais bien de lui attribuer un regard holistique. En quoi le tourisme peut-il contribuer à la prospérité du lieu et de ses activités ? En quoi peut-il créer du lien entre les humains, entre et avec les différents règnes, généraliser la solidarité et le partage, le respect et l'écoute des besoins des autres parties prenantes de l'écosystème ? Et comment peut-il permettre à tous, humains ou pas, de prospérer, de fournir emplois et revenus, ressources et espaces en santé, lieux de vie et de création, pour continuer durablement d'entretenir et de valoriser le lieu ?

Le tourisme régénératif consiste à "réparer" la destination pour la laisser dans un meilleur état que les touristes l'ont trouvée en arrivant, en repensant son rapport à ses visiteurs, et en intégrant des préoccupations environnementales et une approche orientée vers le bien-être de ses communautés.

Et c'est avant tout une histoire d'amour.

Amour du lieu qu'on habite, où l'on vit, où l'on travaille, où l'on étudie, où on développe ses projets, où on se repose, où on se retire.

Amour de ceux qui le partagent avec nous, dans le cocon de la nature qui nous y accueille.

Amour qui mène au respect, à la gratitude et à la reconnaissance de la place de chacun dans l’écosystème partagé dont on va prendre volontairement le plus grand soin.

Tout part de l'identité. Un territoire est unique. Il n'a nulle part ailleurs son équivalent. Donc la première étape consiste à définir qui nous sommes sur ce territoire, chacun individuellement et tous collectivement, et à faire ressortir nos traits distinctifs. De là pourra s'élaborer un narratif de qui nous sommes ensemble, de ce que nous apprécions et n'apprécions pas, de ce que nous sommes prêts à faire pour accueillir des visiteurs... et de ce que nous ne voulons pas. Il s'agit là d'une étape fondamentale d'émancipation qui redonne aux habitants le pouvoir de décider de leur destinée.

Ce narratif et ces choix vont façonner la notion même d'accueil et les offres associées qui vont se transformer, pour offrir des séjours plus longs, plus denses, plus connectés à l'identité du lieu et des individus, à son patrimoine, à sa culture, à ses savoir-faire et à ses merveilles naturelles. Le tourisme régénératif va inciter les gens à réfléchir à la manière d'être un hôte, à celle d'être un touriste, à la façon de s'engager, visiteurs et habitants ensemble, de manière créative et significative. Les uns ont besoin des autres,et c'est une opportunité formidable de voir le monde venir à soi pour apprendre les uns des autres et s'émerveiller des différences.

Le tourisme régénératif va permettre aux visiteurs d'avoir un impact positif sur la destination de leurs vacances, et contribuer à la re-mettre en santé en participant et en profitant de sa prospérité.

La communauté va tirer profit de ces choix qui respectent son intégrité, valorise ses préférences, et contribue à régénérer son écosystème et sa biodiversité par des pratiques durables et responsables. Plutôt qu'un tourisme basé sur le marketing et la vente discount, cette approche va favoriser un tourisme du cœur, qui attache une importance première à l'expérience client basée sur l’authenticité,et à sa relation avec les valeurs vraies de son territoire. Une occasion unique pour les visiteurs de percevoir la nature vibrante des lieux, et pour les habitants, de proposer le meilleur d'eux-mêmes tout en restant maitres des flux et des limites de ce qu'ils sont prêts à accepter et à partager pleinement.

Une occasion de rencontrer des personnes vraies de part et d'autre, hôtes et visiteurs, et de partager du temps, du plaisir et des connaissances avec un cercle de communauté agrandi au monde. Car ce qui profite à ma destination profite également au monde entier, par l'exemple qu'il peut apporter et la voie inspirante qu'il évoque pour tous.

Le tourisme régénératif est un tourisme passionné et joyeux, qui parle au cœur des gens et les incite à la reconnexion, avec eux-mêmes et avec ce qui les entoure. Et qui,à l'image de points d'acuponcture, soigne les lieux, un par un, tout en visant le point de bascule situé aux alentours de 10 à 15% d'emplacements engagés sur la planète. C'est le fameux "tipping-point", qui permettra d'entrainer le plus grand nombre dans le basculement de nos valeurs de société obsolètes et de nos modes de consommation destructeurs, vers une société plus mature, plus autonome, plus épanouie et plus collaborative.  

L’industrie du tourisme, un accès naturel à la régénération du territoire

Quelle meilleure industrie que celle du tourisme, qui associe loisirs et sports,aventure et découverte, plaisir et émerveillement, partage de temps et d'expérience, pour relever ce défi mondial ? En son sein, le tourisme régénératif est celui qui choisit de prendre le temps d'admirer et de nourrir la beauté du monde et de ses habitants, et décide d'en prendre le plus grand soin, avec amour, patience et dévouement. C’est celui qui forge une hospitalité puissante et sans faille, apprend et s’inspire de la découverte des autres, et ne craint pas d’accueillir ses visiteurs comme des amis proches, mutuellement respectueux des valeurs de l’autre.

Car résolument, le tourisme a toute sa place pour contribuer à forger une société qui préfère donner et partager plutôt que prendre et détruire, et qui souhaitere donner largement à la Terre ce qu'elle en a reçu si généreusement.

Alors, êtes-vous prêt.e à relever le défi du tourisme régénératif ?

Véronique Lévy

Conseil en tourisme durable et régénératif.

vlevy@ellio.ca - 514-612-8621

J'espère que cette brève présentation de l'approche régénérative en économie et plus particulièrement dans le tourisme vous a intéressé.e. N'hésitez pas à me consulter si vous souhaitez mettre en place cette approche dans votre destination!

-------

Credit photo : ferdy-aprilyandi-unsplash

Le tourisme régénératif
Le tourisme régénératif

*monde VICA : vulnérable, incertain, complexe et ambigu.

Logo Ellio noir

Appelez-nous au